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ROBERT BIBEAU EM : Révolution, ou révolte populaire ? (responda

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Révolution, ou révolte populaire ?

Lorsqu’on examine des événements politiques, il importe d’appeler un chat par son nom, au risque que les déceptions ne succèdent aux illusions. Impossible de biaiser : si un éléphant accouche d’une souris, inutile de tergiverser, il vaut mieux l’admettre et regarder la vérité en face pour y faire face. Après trente années de gestation, le peuple égyptien, gros d’une révolution, a vu l’accoucheur de l’armée assassiner le bébé.

Le dictionnaire de la langue française est formel : « Une révolution est le renversement d’un régime politique à la suite d’une action violente » (1).  Une révolution c’est une révolte, c’est un soulèvement ayant pour but de détruire les bases d’un système politique et social, dans bien des cas corrompu, pour le remplacer par un autre, habituellement très différent du précédent.

Hosni Moubarak s’était engagé à quitter le pouvoir en septembre 2011, au terme de son cinquième mandat. Plusieurs centaines de martyrs et des milliers de blessés plus tard, les « révoltés du Nil » (2) auront obtenu qu’il avance sa démission de six mois et qu’en rédemption de ses crimes et de ses prévarications il se retire, avec ses milliard de dollars, dans sa datcha de Charm-el-Cheikh, muni d’un sauf-conduit et d’une promesse d’immunité entérinée par l’armée.

Il est utile de rappeler que le gouvernement du colonel Gamal Abdel Nasser a été mis en place, le 23 juillet 1952, à la faveur d’un coup d’État de l’armée égyptienne (3). Le successeur du colonel Nasser, le lieutenant-colonel Anouar el-Sadate, un  temps espion de l’Afrika Corps, était issu des rangs de l’armée, tout comme allait l’être son successeur à la présidence, le commandant Hosni Moubarak (4). C’est l’armée égyptienne qui a désigné le commandant Moubarak à ce poste et c’est elle qui l’a soutenu dans ses projets de construction du Mur d’enfermement de ses frères arabes à Gaza, dans sa politique de démantèlement des capacités industrielles égyptiennes érigées sous Nasser et dans sa stratégie de soumission aux intérêts américains, ainsi que dans ses activités de collaboration amicale avec l’ennemi sioniste israélien, cela, sans la moindre défaillance, jusqu’au 11 février dernier.

Il y a quelque temps, Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, pleurait la déchéance de son ami sioniste, le commandant de l’armée de l’air Hosni Moubarak, troisième président de la République arabe d’Égypte. Juste avant de tomber en disgrâce, le soldat Moubarak a nommé, avec l’assentiment de l’armée, le chef des services secrets de l’armée, le tortionnaire Omar Souleiman, au poste de Vice-président. Qui osera prétendre que cette nomination respectait les vœux démocratiques du peuple égyptien en colère ?

Souleiman, l’actuel chef du gouvernement provisoire, a déclaré publiquement qu’il couperait les pieds et les mains de tout Arabe palestinien qui traverserait la frontière égyptienne à Rafah, et l’armée constitutionnelle égyptienne a applaudi cette prouesse démagogique. Ce gouvernement provisoire, honni du peuple et illégitime, demeure en poste aux ordres de l’armée, après la soi-disant « victoire » (sic !) de la « plus grande révolution de l’histoire de l’humanité » (re-sic !) (5).

Enfin, sitôt réinstallé au pouvoir, le 11 février 2011, le Conseil suprême des forces armées n’a rien eu de plus pressé que d’appeler à la cessation de toute hostilité : « L’armée égyptienne, en charge du pays depuis la chute le 11 février du président Hosni Moubarak, a appelé lundi citoyens et syndicats à cesser les grèves et les protestations sociales, au moment où les mouvements sociaux prennent de l’ampleur. Le Conseil suprême des forces armées (les mêmes officiers qui s’étaient réunis au Pentagone quelques jours auparavant, NDLR), appelle les citoyens et les syndicats professionnels et ouvriers à assumer leur rôle de la meilleure manière, chacun à sa place (…), dans la paix et le retour au calme. » (6).

Il est extrêmement rare que l’armée d’un régime militaire tyrannique et corrompu soit une armée du peuple, démocratique, magnanime et complaisante pour la population qu’elle a réprimée pendant trente années. Il serait avisé de se méfier de tous ceux qui appellent à s’en remettre à l’armée pour trancher en faveur du peuple qu’elle a réprimé, emprisonné, torturé : « L’armée, ce n’est pas la police, haïe pour son rôle répressif. Elle (l’armée) a joué un rôle national, s’est posée en défenderesse de la nation. Ce qui lui vaut un crédit moral. » (7). Ah bon ?

Bon an, mal an, les États-Unis accordent une aide de 1,3 à 1,7 milliard de dollars à l’armée égyptienne « révolutionnaire » afin de payer la solde de la piétaille et d’assurer la fortune des hauts gradés. Qui stipendie l’armée dirige l’orchestre des militaires et des tortionnaires.

Le fil des événements récents

Reprenons le verbatim de cette révolte populaire dramatique qui n’est jamais parvenue à se déployer en une révolution démocratique, ni, encore moins, en une révolution populaire anti-impérialiste.

Dès 2007-2008, soit avant même que la crise économique occidentale ne s’abatte sur l’Égypte, le chômage endémique concernait la grande majorité (76%) des jeunes diplômés des écoles spécialisées et des universités. Le chômage frappait également une partie de la classe ouvrière. Des grèves, pour la défense du pouvoir d’achat et pour l’emploi, bouleversaient ce pays exsangue. Les ressources de l’État étant accaparées par l’armée et par une coterie corrompue, les prix des aliments de première nécessité furent augmentés, sur les recommandations du FMI et de la Banque Mondiale. La rue se manifesta alors dans l’indifférence des médias occidentaux qui ne daignèrent pas faire état de ces grèves pour les salaires et pour l’emploi, ni de ces émeutes de la faim.

En décembre 2010, dans un petit pays, aux confins du Maghreb, la population excédée manifesta  violemment contre un tyran exécré. Après plusieurs jours de protestation populaire, la « Révolte du jasmin » emporta le tyran Ben Ali, qui s’enfuit, muni d’un sauf-conduit, avec sa fortune si mal acquise. Le Conseil constitutionnel tunisien reprit en main la populace et reconsolida son emprise sur le pouvoir. Un cacique de l’ancien régime, le Premier ministre sortant Mohamed Ghannouchi assura l’intérim et ils nous cogitera, sous peu, quelques modifications à la constitution, pour un futur scrutin, à la grande joie des petits bourgeois friands d’élections « démocratiques » où  le petit peuple aura l’opportunité d’entériner le choix de la gente armée, l’activité préféré des petits bourgeois « révoltés ».

En janvier 2011, inspirés par les événements de Tunis, de jeunes Égyptiens désoeuvrés branchés sur Internet et sur Facebook entament un soulèvement populaire pour renverser le régime militaire-autoritaire du vieux raïs et de tous ses technocrates.  Les technologies nouvelles offrent des moyens de communication mais elles ne fournissent pas, en kit, la conscience de classe, ni l’orientation politique, pas plus que l’expérience révolutionnaire. Ces jeunes cyber-révoltés de la Coalition du 6 mai ne connaissaient pas grand-chose à la politique et ils fut très faciles de les duper pour les vieux roublards de l’opposition patentée.

Rapidement, tout ce qui grenouille de petits bourgeois intellos occidentaux et de vieux politiciens sur le retour, s’agglutinèrent à ce mascaret. Les « Frères musulmans », dociles collabos du pouvoir, d’abord hésitants, entrèrent finalement dans la danse, divers comités de ‘contestataires’ de la vingt-cinquième heure surgirent de partout et chacun tenta d’accaparer la direction de l’action désorganisée et désorientée.

La lutte pour le pain, le travail, la dignité, l’équité et l’honnêteté devint assez rapidement, sous la férule des « petits bourgeois démocrates pacifistes », une bataille pour renverser Le tyran Moubarak.

L’Ambassade américaine au Caire, désemparée, et l’armée égyptienne, prise au dépourvu, apprécièrent à sa juste valeur le service rendu. Partant d’une « Révolution » devant débouter un régime tout entier, les comploteurs se retrouvèrent face à une « révolte » visant à chasser un tyran, dont l’armée n’était pas mécontente de se débarrasser. En effet, le vieux raïs cherchait à imposer son fils comme son successeur, un petit homme d’affaires médiocre n’ayant jamais appartenu à l’armée, et cela n’avait jamais fait l’objet d’un accord avec l’état-major.

Alors, plutôt que de jeter à bas toutes les institutions et la vieille constitution et de créer une assemblée constituante pour en rédiger une nouvelle, un gouvernement provisoire, dirigé par un criminel du sérail fut chargé de modifier quelques articles de la constitution toujours en vigueur. Tous les partis d’opposition pourront présenter un candidat à l’élection à venir et le candidat financé par les Américains et soutenu par les médias officiels l’emportera à coup sûr. Au cas improbable où celui-ci n’y parviendrait pas, il serait toujours temps d’annuler l’élection et d’imposer un nouveau coup d’État de l’armée, comme en 1952.

Dans le cas d’une « réussite » de ce plan et de la mise en place d’élections, « les Frères musulmans seront la fraction principale au Parlement. Les États-Unis encouragent ce cas de figure et ils ont, d’ailleurs, qualifié les Frères musulmans de « modérés ». C’est normal puisque les Frères musulmans acceptent la soumission à la stratégie américaine et laissent Israël libre de continuer à envahir la Palestine. Les Frères musulmans sont également en faveur du système de « marché » actuel, qui dépend totalement de l’extérieur. En réalité, ils sont également en faveur de la suprématie de la classe bourgeoise « compradore » au pouvoir et ils se sont opposés aux grèves de la classe ouvrière et à la lutte des paysans pour préserver la propriété de leurs terres. » (9). Pour les  Américains et pour Israël, donc, il n’y a rien à craindre, de ce côté-là.

Épilogue

Partant d’une menace de « Révolution » incontrôlée, les apparatchiks se retrouvent maintenant confrontés à une révolte avortée, grâce aux bons soins de quelques démocrates pacifistes qui ont bien accompli leur travail de diversion au grand plaisir de l’armée.

Les jeunes internautes resteront désoeuvrés (76 %) et les ouvriers continueront à chômer ; le pain restera hors de portée, les riches rentreront bientôt pour la curée et les capitaux du Golfe reviendront arroser les rives du Nil et les stations balnéaires des côtes de la Méditerranée et de la Mer Rouge.

Le 14 février dernier, quelques jeunes cyber-militants « révolutionnaires » naïfs ont rencontré les représentants de l’armée, qui leur a seriné quelques billevesées : « Le conseil suprême des forces armées a indiqué dimanche qu’il prenait en charge la direction des affaires du pays provisoirement, pendant six mois, soit jusqu’aux élections législatives présidentielles, tout en maintenant, pour la gestion des affaires courantes, le gouvernement formé par M. Moubarak le 31 janvier. Le gouvernement d’un cacique du régime, Ahmad Chafic, qui s’est réuni dimanche pour la première fois depuis le départ de M. Moubarak, a promis de faire de la sécurité sa toute première priorité ».

Vous aurez noté que la « sécurité » n’a jamais été une revendication de la rue égyptienne, mais plutôt une demande de la nomenklatura prise de panique.


« Nous avons rencontré l’armée (…) pour comprendre leur point de vue et présenter le nôtre, déclarent Waël Ghonim, un jeune informaticien devenu icône du soulèvement, et le blogueur Amr Salama, dans une note intitulée : “Rendez-vous avec le conseil suprême des forces armées” sur un
site Internet pro-démocratie. Selon les jeunes militants, l’armée a également promis de “poursuivre en justice tous ceux qui sont accusés de corruption, quel que soit leur poste actuel ou passé”. Les militaires, accusés par des groupes de défense des droits de l’homme d’avoir emprisonné et torturé des protestataires pendant la révolte, se sont aussi engagés à “retrouver tous les manifestants portés disparus ». (10) L’armée ne promet pas d’arraisonner les coupables, mais de retrouver les victimes (mortes ou vives).

Sans conscience et sans organisation révolutionnaire, voilà comment une « révolution » arabe se transforme en une « révolte » avortée. Cependant, les peuples arabes poursuivent leur soulèvement spontané et je suis absolument certain qu’ils ont déjà retenu les leçons de cette expérience, qui n’est certes pas terminée.

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